Article publié sur Actu-environnement en collaboration avec Véronique Boulet-Gercourt, avocate au Barreau de Carcassonne.
L’arrêté du 4 mars 2011 fixant les nouvelles conditions d’achat d’électricité produite par les installations photovoltaïques est à l’origine d’un contentieux résolument intarissable.
Après l’introduction massive de procédures indemnitaires de la part des producteurs d’électricité lésés à l’encontre du gestionnaire de réseau devant le juge consulaire, c’est devant le juge administratif que ces derniers se tournent, aujourd’hui, pour contester le tarif d’achat imposé par les acheteurs d’énergie, à l’aune d’une interprétation très ambiguë de la notion de bâtiment.
La notion de « bâtiment unique » ou de « même bâtiment » est devenu un élément incontournable pour calculer le tarif d’achat applicable à un projet d’installation photovoltaïque, lequel est plus ou moins élevé en fonction de la puissance de l’installation.
Pour calculer cette puissance, l’arrêté du 4 mars 2011 (annexe 1) prévoit d’additionner la puissance de crête de « l’ensemble des installations raccordées ou en projet sur le même bâtiment ou la même parcelle cadastrale », étant entendu que le tarif d’achat est plus intéressant lorsque la puissance de l’installation est faible.
Aussi, c’est aux fins « d’éviter la segmentation artificielle des installations en vue de bénéficier d’un tarif d’achat prévu pour des installations de plus petite taille » qu’une définition sui generis de la notion de bâtiment a émergé.
En effet, plus de quatre ans après la publication de l’arrêté du 4 mars 2011 – qui ne propose aucune définition de la notion de bâtiment unique – la Direction Générale de l’Énergie et du Climat a adressé un courrier en date du 8 janvier 2015 au Syndicat des Énergies Renouvelables aux fins de préciser ladite notion.
Il résulte, notamment, de ce courrier qu’un bâtiment « est une construction d’un seul tenant, éventuellement composé de plusieurs corps de bâtiments. Un corps de bâtiment désigne un volume construit homogène, distinct et d’un seul tenant dissociable des autres corps de bâtiment sans dommage dans la structure générale de l’édifice. Ainsi, le caractère dissociable d’une partie d’un édifice ne peut être utilisé pour la définition des contours d’un bâtiment. De même, des considérations d’adresse, d’accès, de date de construction, de fonctionnalité ou de propriétaire ne sont pas pertinentes. En général, les bâtiments accolés et/ou mitoyens sont considérés comme un bâtiment unique ».
Forts de ce courrier pourtant dépourvu de la moindre valeur réglementaire, les acheteurs d’énergie ont interprété de manière restrictive la notion de « bâtiment unique » et remis en cause le tarif d’achat escompté par les producteurs et ce, malgré l’antériorité de leur demande de raccordement.
Parmi ces producteurs, certains ont reçu une première proposition de contrat indiquant un tarif d’achat correspondant à deux ou trois bâtiments différents, et donc favorable, puis, dans une deuxième étape, ont reçu des nouvelles propositions de contrats contenant une modification tarifaire revue à la baisse, correspondant à une définition du bâtiment qui avait, entre temps, évolué.
L’implantation de ces centrales avait pourtant été largement encouragée par le gestionnaire de réseaux, puisqu’il avait édité à l’attention des producteurs des documents de travail, schémas d’implantation à l’appui, indiquant très clairement qu’aucune puissance Q ne devait être déclarée dès lors que les centrales étaient situées sur des parcelles cadastrales distinctes et des bâtiments qui, bien qu’accolés, disposaient d’entrées indépendantes.
Les producteurs étaient donc fondés à penser que la jurisprudence – si ce n’est la loi – viendrait entériner une pratique constante ; de très nombreuses centrales ayant vu le jour un peu partout en France suivant ce type d’implantation, avec l’octroi d’un tarif d’achat prenant effectivement en compte une puissance Q nulle.
De manière pour le moins surprenante, ce n’est pas cette conception qui a été retenue par le Tribunal administratif de Paris amené à se prononcer, par un jugement du 23 juin 2016, sur la notion de « même bâtiment » (TA Paris, 23 juin 2016, n° 1513079, n° 1513081, SAS Belette Sun : jurisdata n° 2016-18776. Voir, également, l’intéressant commentaire du Rapporteur public, Jimmy Robbe, dans la revue Energie-Environnement-Infrastructures 2016, n° 10, commentaire 69).
Compétent pour trancher les litiges portant sur des contrats de nature administrative et la légalité des actes détachables de tels contrats, le Tribunal administratif, en l’espèce, de Paris, a été saisi par une société désireuse de bénéficier de l’obligation d’achat de l’électricité produite par trois installations photovoltaïques construites sur des bâtiments qu’elle jugeait distincts.
Confortant, dans un premier temps, cette analyse, un acheteur d’énergie faisait parvenir à ladite société, en août et en septembre 2014, une proposition de contrat d’achat de 32,659 centimes d’euro par kWh. En novembre et en décembre 2014, estimant que le tarif d’achat n’était pas conforme à la réglementation en vigueur, l’acheteur d’énergie faisait parvenir à la société requérante de nouvelles propositions de contrat mentionnant un tarif d’achat de 16,731 centimes d’euro par kWh.
Refusant de signer ces nouvelles propositions, la société adressait, le 13 mai 2015, une réclamation à l’acheteur d’énergie.
C’est le rejet de cette réclamation qui a motivé le recours en annulation introduit par la société devant le Tribunal administratif de Paris.
La société demanderesse soutenait que compte tenu des caractéristiques de ses installations photovoltaïques, d’une puissance de 9 kWh et situées sur deux parcelles distinctes et des bâtiments distincts, elle devait bénéficier d’un tarif d’achat d’électricité de 32,659 centimes d’euro par kWh et non celui de 16,731 centimes d’euro par kWh.
Amené à se prononcer sur la notion de « même bâtiment », le Tribunal administratif a jugé que le tarif de 16,731 centimes d’euro par kWh était applicable, dans les termes suivants :
« il ressort des constatations des huissiers requis à la fois par la requérante et la défenderesse que les installations de la SAS Belette Sun sont situées, certes sur deux ouvrages construits à des époques différentes, à savoir un garage adossé à une grange, mais qui dès lors qu’ils sont juxtaposés et qu’ils partagent même un pan de mur commun ainsi que le fait valoir sans être contredite EDF et que cela ressort des constats précités, sont indissociables et doivent être regardés pour l’application de l’arrêté du 4 mars 2011 comme formant un unique bâtiment ; ».
Ainsi, le Tribunal administratif de Paris conforte l’analyse de la DGCE en reconnaissant l’unicité du bâtiment dès lors que les installations sont juxtaposées et partagent un même pan de mur et ce, peu importe que les « ouvrages » aient été construits à des époques différentes.
Ce faisant, Tribunal n’épuise, nullement, la problématique soulevée par la notion de « bâtiment unique » et laisse entières les questions suivantes : quid de l’hypothèse de propriétés et/ou d’adresses distinctes (doit-on considérer que toutes les maisons mitoyennes situées dans une rue constituent désormais un bâtiment unique ce qui, de facto, les ferait relever du régime de la copropriété ?), du caractère disjoint des murs, d’un « ouvrage » clos tandis que l’autre est ouvert ? Que faut-il, du reste, entendre par « ouvrage » ?
Une telle définition de ce qui serait un « même bâtiment », semble critiquable au regard des solutions précédemment dégagées en jurisprudence, notamment au regard de celle consacrée par le Conseil d’Etat en matière d’urbanisme, qui juge que dans le cas de bâtiments accolés, il convient de tenir compte de l’indépendance matérielle effective de chacun d’entre eux vis-à-vis des autres.
Il importe, en effet peu, en ce cas que ces bâtiments adjacents soient séparés par un mur mitoyen dès lors qu’ils ne sont pas reliés entre eux par une communication directe (Conseil d’Etat, « Boisdeffre » 7 mai 2003, 3ème et 8ème sous-sections réunies, n° 251596, inédit au Recueil Lebon).
Enfin, la consécration par le Tribunal administratif de Paris d’une définition du bâtiment unique entérinant la position de la DGEC semble porteur d’une réelle insécurité juridique au regard de la pratique antérieure sus-évoquée.
Ce premier jugement, dans l’attente d’une législation claire qui semblerait pour l’avenir bienvenue en la matière, marque une première étape, non définitive, dans un contentieux qui, de toute évidence, se révèlera abondant et évolutif.
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