Non-lieu à statuer et frais irrépétibles : l’équité n’est pas de droit

À l’instar de l’article 700 du Code du procédure civile concernant les juridictions judiciaires, l’article 761-1 du Code de justice administrative permet au juge administratif de condamner la partie perdante à payer à l’autre partie les frais irrépétibles exposés dans le cadre de la procédure et non compris dans les dépens.

Il s’agit, notamment, des frais d’avocat engagés par une partie pour défendre ses droits.

Cette condamnation n’est pas automatique et lorsqu’elle est consentie, le juge en détermine la somme. Il tient compte, pour ce faire « de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée« .

A priori, la condamnation aux frais irrépétibles implique, a minima, que le juge administratif juge illégale la décision administrative attaquée.

Or, il arrive souvent que l’administration en cause – prenant conscience de son erreur ou souhaitant échapper à une condamnation inéluctable – régularise une nouvelle décision, en cours de procédure, donnant satisfaction au justiciable.

Dans ce cas de figure, l’administration sollicite un non-lieu à statuer – le recours contre la décision perdant son objet – et échappe à toute condamnation.

Qu’en est-il, dès lors, des frais irrépétibles engagés par le justiciable pour défendre ses droits dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir par exemple  ?

À cet égard, le Conseil d’État considère, depuis 2006, que le non-lieu à statuer ne fait pas obstacle au prononcé d’une condamnation au titre des frais irrépétibles  dans les termes suivants :

« Le fait que le requérant ait demandé le remboursement des frais exposés par lui et non compris dans les dépens postérieurement à la décision du ministre accordant le dégrèvement des impositions en litige et privant ainsi d’objet la requête ne fait pas obstacle à ce que le juge puisse décider d’accorder ce remboursement » (Conseil d’État, 25 octobre 2006, n° 273954).

Cette solution semble des plus appropriées au regard de l’équité, puisqu’en l’absence de décision illégale lui faisant grief, le justiciable n’aurait pas engagé de frais de procédure.

En droit, cette solution fait également sens dans la mesure où la régularisation, par la partie en cause, d’une nouvelle décision en cours de procédure vaut reconnaissance par cette dernière, de l’illégalité de la décision attaquée par le justiciable.

Ainsi, le droit et encore moins l’équité ne s’opposent à ce que le juge prononce le non-lieu à statuer tout en condamnant la partie en cause à payer les frais irrépétibles engagés par l’autre partie.

Ceci étant dit, un jugement récent du Tribunal d’instance de Melun nous rappelle que la condamnation de la partie perdante au paiement des frais irrépétibles relève de la libre appréciation du juge administratif ; appréciation discrétionnaire, du reste, puisque non motivée.

En l’espèce, un agent de la fonction publique hospitalière s’opposait, dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir assorti d’un référé suspension, à une décision d’affectation à un poste de surveillant de nuit, alors que ledit agent, âgée de 56 ans, élevant seule un enfant mineur et faisant l’objet de restrictions médicales au travail de nuit, ne pouvait, pour ces raisons, accepter ce poste.

Cinq mois après la notification de la décision attaquée et quelques semaines après l’échec de la tentative de règlement amiable du litige, les parties ont été invitées à plaider le référé-suspension.

Entre l’audience de plaidoiries et la clôture (reportée par ordonnance), l’Établissement en cause a notifié à l’agent une nouvelle affectation à un poste de jour, correspondant à son statut et son grade.

La nouvelle affectation apportant satisfaction à l’agent, ledit Établissement a sollicité le non-lieu à statuer. L’agent, de son côté, s’estimait heureuse de cette nouvelle affectation conforme, mais amère quant aux démarches qu’elle a dû effectuer et aux frais auxquels elle a dû s’exposer pour en arriver à cette affectation de droit.

Malgré les conclusions de son conseil, mentionnant la jurisprudence du Conseil d’État de 2006 sus-évoquée, le juge administratif a fait droit aux demandes de l’Établissement quant au non-lieu a statuer et écarté les demandes de l’agent quant à ses demandes de condamnation de l’Établissement au paiement des frais irrépétibles avec pour seule motivation « qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Établissement » les sommes demandées au titre de l’article 761-1 du Code de justice administrative.

On précisera qu’en l’espèce, ledit Établissement public ne s’était même pas défendu quant à la demande de condamnation aux frais irrépétibles.

Pouvoir discrétionnaire, libre appréciation du juge administratif… le justiciable doit avoir connaissance que l’équité ne guide pas, toujours, l’issue de son litige. C’est ce qui s’appelle, l’aléa judiciaire.

Les arrêtés municipaux anti-tracts et anti-mendicité portent atteinte à certaines libertés fondamentales

Tribunal admininistratif… sauf lorsqu’ils sont nécessaires et proportionnés aux exigences de l’ordre public.

La question de la légalité des arrêtés pris par les maires pour limiter la distribution de tracts sur les marchés et, par la même occasion, pour interdire la mendicité au sein de l’agora, ne se pose pas pendant les élections nationales que nous connaissons actuellement.

Cette pratique s’est, en revanche, développée ces dernières années dans certaines communes pour, disons-le, limiter l’expression de l’opposition politique locale et repousser, toujours plus loin, cette pauvreté qu’on ne saurait voir.

Le Conseil d’État, par une ordonnance en date du 7 avril 2012, (n° 358495) avait légitimé cette pratique saisi en référé d’une affaire où le maire de Saint-Cyr-L’École avait interdit, aux jours et heures du marché, à l’intérieur du marché couvert et dans sa proximité immédiate, la distribution et le colportage accidentel d’écrits de toute nature, de journaux, de brochures, de tracts ainsi que la mise en circulation de pétitions.

Le Conseil d’État avait, alors, considéré :

« que compte tenu, d’une part de la stricte limitation dans le temps et les lieux qui est ainsi celle de cette mesure, d’autre part, des nécessités de la commodité de la circulation du public à l’intérieur de la halle et des espaces du périmètre adjacent effectivement occupés par des commerçants, l’arrêté litigieux ne peut, même au regard des exigences particulières qu’impose la période électorale, être regardé comme portant aux libertés d’expression et de communication des idées et des opinions une atteinte grave et manifestement illégale ».

Susceptible de porter atteinte à certaines libertés fondamentales comme la liberté d’expression, la liberté de réunion et au principe du caractère pluraliste de l’expression des courants de pensée et d’opinion, la publication de l’arrêté litigieux, ne portait, toutefois, pas une atteinte grave et manifestement illégale à ces libertés, dans la mesure où l’interdiction était :

–  limitée dans le temps et dans l’espace ;

– justifiée par la défense d’intérêts publics comme, en l’espèce, la commodité de la circulation du public.

Cette ordonnance  du Conseil d’État a ouvert la voie à une série d’arrêtés municipaux prescrivant des interdictions de la même espèce.

Ce fut, notamment, le cas dans la commune des Ulis, où le Maire a décidé – dans un contexte de forte tension politique locale – par un arrêté du 18 mars 2016, d’interdire :

  • la distribution de tracts et pétition sur le périmètre du marché, pendant les séances du marché ;
  • toute manifestation à caractère politique, confessionnelle ou syndicale dans le périmètre du marché ;
  • tout rassemblement et stationnement de personnes pouvant gêner ou entraver la libre circulation ;
  • la mendicité sous toutes ses formes dans le périmètre et aux abords du marchés durant les séances de marché.

L’interdiction prescrite était, ici, générale et absolue. Le périmètre et les horaires du marché n’étaient pas définis et l’interdiction de se rassembler ne rencontrait aucune limite de temps et d’espace.

L’arrêté litigieux ouvrait donc la voie à une censure du Tribunal administratif de Versailles, saisi en référé.

Sur la condition d’urgence justifiant sa saisine en référé-liberté, le Tribunal administratif de Versailles a, tout d’abord, jugé que :

« l’arrêté pris par le maire des Ulis a vocation à interdire la diffusion de tous imprimés et pétitions de quelque nature que ce soit, toute manifestation à caractère politique, confessionnelle ou syndicale, tout rassemblement de personnes pouvant gêne la circulation, ainsi que la mendicité sous toutes ses formes dans le périmètre du marché forain pendant les séances de marché ; que l’édiction d’une telle mesure crée une situation d’urgence au sens de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative ».

Le Tribunal administratif de Versailles n’a, toutefois, pas considéré que l’arrêté pris par le Maire des Ulis pouvait être regardé comme portant une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales sus-évoquées sous réserve que :

 » une telle interdiction ne saurait s’étendre, à peine de porter une atteinte grave et manifestement illégale à ces mêmes libertés, aux abords du marché non réservés au commerçants et à leur clientèle, en sorte qu’il doit être loisible à toute personne de procéder, notamment, à des distribution de documents les jours de marché à proximité immédiate du périmètre occupé par les commerçants et leurs étals, en ce compris la bande de recul permettant l’accès des véhicules sur les emplacements du marché hors des heures de déchargement et rechargement fixées par le règlement intérieur « .

Ce n’est, toutefois, que par une manoeuvre – pour le moins habile – que l’arrêté litigieux n’a pas fait l’objet d’une censure. La veille de l’audience, le Maire des Ulis a abrogé l’arrêté objet de la saisine du Tribunal et remplacé ce dernier par un arrêté prescrivant les mêmes interdictions, mais, cette fois-ci, en limitant leur périmètre.

Le Tribunal administratif de Versailles, dans son ordonnance du 12 avril 2016 (n° 1602522), fut dès lors contraint de tenir compte de ce nouvel arrêté – et de la jurisprudence du Conseil d’État – et décidé, sous la réserve évoquée, qu’il ne portait pas une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales.

À l’aune de la jurisprudence du Conseil d’État, le juge administratif procède, ainsi, à un arbitrage entre les libertés fondamentales atteintes et la défense des intérêts publics qu’est censée justifier l’interdiction litigieuse, laquelle doit être limitée dans le temps et dans l’espace.

Ce contentieux, qui est une application classique du principe de proportionnalité, rappelle que les citoyens et militants doivent rester vigilants face aux productions normatives de leur municipalité, lesquels peuvent se révéler, à bien des égards, liberticides.