Pertes d’exploitation et COVID-19 : une première condamnation de GAN ASSURANCES

En application de l’arrêté du 15 mars 2020 complétant l’arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19 puis, de la déclaration d’un deuxième état d’urgence sanitaire par Décret n° 2020-1257 du 14 octobre 2020, de nombreux établissements recevant du public ont été contraints de fermer – préventivement – leurs portes, les privant des recettes indispensables à leur activité économique.

Un grand nombre de ces commerces, restaurants, salles de sports, centres de vacances (et autres) ont toutefois pallié le risque de fermeture administrative en souscrivant une assurance multirisque professionnelle, censée les indemniser en cas de réalisation de ce risque.

Or, en réponse à leur déclaration de sinistre, la majorité de ces établissements s’est vue opposer un refus systématique d’indemnisation des assureurs sur le fondement d’une clause d’exclusion ou de limitation de garantie contenue dans des conditions générales ou autres conventions spéciales annexées à leur contrat.

Un contentieux de masse est né contre la compagnie d’assurance AXA FRANCE IARD, laquelle – pour refuser sa garantie – se prévaut de la clause d’exclusion suivante :

 » Sont exclues :

Les pertes d’exploitation, lorsque, à la date de la décisions de fermeture, au moins un autre établissement quelle que soit sa nature et son activité, fait l’objet, sur le même territoire départemental que celui de l’établissement assuré, d’une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique« .

À ce jour, plus d’une centaine de jugements ont été rendus dont environ 78 % en faveur des assurés sur le fondement du caractère inopérant de ladite clause en ce qu’elle prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur (article 1170 du Code civil et article L.113-1 al. 1 du Code des assurances).

Tandis que ce contentieux dirigé contre AXA fait grand bruit, d’autres combats juridiques plus discrets sont en cours contre d’autres compagnies, comme GAN ASSURANCES.

Un autre genre de clause est opposé par cette dernière aux assurés, laquelle est rédigée dans les termes suivants :

 » Fermeture temporaire par décision administrative.

Au sens de la garantie Pertes d’Exploitation, il faut également entendre par « sinistre » la fermeture temporaire de l’hôtel imposée par décision des Autorités Administratives (municipales ou préfectorales) mais exclusivement par la seule survenance effective dans l’hôtel des évènements suivants : meurtre, suicide, maladie contagieuse, épidémie, intoxication alimentaire ou empoisonnement « .

En substance, la garantie perte d’exploitation est acquise suite à une fermeture administrative uniquement si elle est motivée par la survenance effective de l’évènement – en l’espèce, l’épidémie – dans l’établissement.

Puisque les fermetures administratives étaient préventives, elles n’étaient donc pas consécutives à la survenance de cas Covid-19 dans les établissements. Sur le fondement de sa clause, GAN ASSURANCES a considéré que la garantie n’était pas acquise, privant ses assurés d’une indemnisation au titre de leurs pertes d’exploitation.

Le Tribunal de commerce de Pau (jugement du 25 mai 2021 n° 2021000159) s’est prononcé sur cette clause et jugé que cette dernière revêtait un caractère abusif en ce qu’elle prive de sa substance l’essentiel de sa garantie ; l’assureur ayant choisi d’indemniser la perte d’exploitation suite à une fermeture administrative dans le cas d’une épidémie dont il est très improbable par définition qu’elle ne puisse concerner qu’un seul établissement sur un même territoire.

Par ailleurs, ladite clause étant insérée dans une convention spéciale qui n’avait pas été portée à la connaissance de l’assuré, lequel est censé connaître l’étendue des garanties incluses dans le contrat d’assurance qu’il a souscrit et être en mesure de le comprendre.

Ce faisant les juges consulaires de Pau se sont prononcés sur la validité de la clause figurant dans les conditions particulières signées par l’assuré, renvoyant à une multitude de documents contractuels jamais communiqués, enrichissant ainsi une jurisprudence en pleine évolution. Ce sujet méritera des développements à part.

En toutes hypothèses, une première bataille contre GAN ASSURANCES a été gagnée puisque l’assuré bénéficiera d’une indemnisation. Un appel sera, très probablement, interjeté par l’assureur. Un nouveau combat devrait alors s’engager.

3 – État d’urgence sanitaire (Covid-19) et baux d’habitation (mise à jour suite à la publication de l’ordonnance n° 2020-560 du 13 mai 2020)

La publication au Journal Officiel, le 14 mai 2020, de l’ordonnance n° 2020-560 du 13 mai 2020 fixant les délais applicables à diverses procédures pendant la période d’urgence sanitaire répond aux interrogations que nous soulevions dans un précédent article sur les conséquences de la prorogation de l’état d’urgence sanitaire dont le terme est désormais fixé au 10 juillet 2020.

Pour mémoire, la période dite « juridiquement protégée » était précédemment comprise entre le 12 mars 2020 et « l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l’article 4 de la loi du 22 mars 2020  » soit, le 24 mai 2020 + 1 mois = le 24 juin 2020 selon l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 dans son ancienne version.

Cette rédaction laissait penser que la prorogation de l’état d’urgence sanitaire au 10 juillet 2020 entraînerait de facto une prorogation de la période dite « juridiquement protégée », ce qui n’était pas justifié au regard de la levée progressive du confinement et de la reprise de l’activité selon l’avis du Conseil d’État.

L’ordonnance n° 2020-560 du 13 mai 2020 permet de mettre fin à l’incertitude et vient modifier l’article 1.I de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période dans les termes suivants :

« Les dispositions du présent titre sont applicables aux délais et mesures qui ont expiré ou qui expirent entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020 inclus« .

La période dite « juridiquement protégée » est désormais gelée puisqu’elle expire le 23 juin 2020. Ainsi, à partir du 24 juin 2020, tous les délais repartent dans des conditions prévues par l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 modifiée.

Concernant les baux d’habitation – puisqu’il s’agit du sujet que nous avons choisi d’aborder en premier lieu – et plus précisément la prise d’effet de la clause résolutoire, le calcul des délais effectué à titre d’exemple dans notre précédent article reste ainsi inchangé, à un jour près.

Il convient de rappeler que cette interprétation des textes n’engage que son auteur. Le Juge des contentieux de la protection sera amené à trancher la question des délais dans les mois à venir. Cet article est donc rédigé sous réserve de l’interprétation qui sera faite par les juridictions.

2 – État d’urgence sanitaire (Covid-19) et baux d’habitation (mise à jour suite à la publication de la loi du 11 mai 2020)

Dans un précédent article consacré aux conséquences de l’état d’urgence sanitaire sur certains aspects relatifs aux baux d’habitation, la question de la prorogation des délais a été abordée à la lumière des textes applicables au moment de sa rédaction.

Depuis lors, la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 entrée en vigueur le même jour, a prorogé l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 10 juillet 2020.

Le nouveau régime d’état d’urgence sanitaire ainsi édicté a pour objet de renforcer (encore) le pouvoir de l’Etat et notamment sa possibilité de restreindre certaines libertés.

Il ne s’agira, ici, que d’évoquer les conséquences de cette nouvelle prorogation de l’état d’urgence sur les contrats d’habitation.

Il résulte clairement de l’article 10 de cette loi – visant l’article L. 412-6 du code des procédures civiles d’exécution – que la prorogation a une incidence directe sur la trêve hivernale, désormais prolongée jusqu’au 10 juillet 2020 inclus.

S’agissant des autres délais prévus dans l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020  relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période, modifiée par l’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020, rien ne permet d’affirmer à ce jour qu’ils seront ipso facto affectés par cette nouvelle prorogation.

En effet, l’ordonnance sus-évoquée a été adoptée en application de l’article 4 de la précédente loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 déclarant l’état d’urgence sanitaire pour une durée de deux mois soit, jusqu’au 24 mai 2020.

L’article 4 prévoit également :

« La prorogation de l’état d’urgence sanitaire au delà de la durée prévue au premier alinéa du présent article ne peut être autorisée que par la loi« .

Prorogation est faite. L’article 1-I de la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions dispose :

« L’état d’urgence sanitaire déclaré par l’article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 est prorogé jusqu’au 10 juillet 2020 inclus ».

La logique invite à considérer que la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire est affectée par cette nouvelle loi, prolongeant ainsi et encore les délais évoqués dans notre précédent article.

Or, à ce jour, l’ordonnance relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire du 25 mars 2020, modifiée le 15 avril 2020 ne vise que la loi initiale -celle du 23 mars 2020 déclarant l’état d’urgence sanitaire – pour une durée de deux mois soit, jusqu’au 24 mai 2020….

Un doute subsiste en l’état – et en l’État de droit – sur la prorogation des délais. À cet égard, il convient de se référer à l’avis du Conseil d’État sur le projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire (Avis  n° 400104 du 1er mai 2020) lequel :

«  (…) attire l’attention du Gouvernement sur les conséquences de la prorogation liées au prolongement de la durée des nombreuses mesures décidées par des ordonnances prises en application de l’article 38 de la Constitution en vue de faire face à l’épidémie de covid-19 apportant des dérogations aux dispositions légales de droit commun, notamment en matière de délais. Ces dérogations ont, dans de nombreux cas, comme terme la durée de l’état d’urgence déclaré par la loi du 23 mars que la présente loi va proroger de deux mois augmentée d’un mois. Elles étaient justifiées par la situation d’arrêt massif de l’activité du pays provoquée par la mesure générale de confinement de la population à partir du 17 mars. Dès lors que ce confinement va être progressivement levé et que l’activité va reprendre, ces dérogations ne pourront plus se fonder sur leurs justifications initiales. Aussi le Conseil d’Etat estime-t-il que la nécessité et proportionnalité de ces dérogations doivent faire, de la part du Gouvernement, l’objet, dans les semaines qui viennent, d’un réexamen systématique et d’une appréciation au cas par cas« .

Aussi, sur la prorogation des délais – touchant aux baux d’habitation et bien d’autres aspects contractuels, légaux et procéduraux sur lesquels nous écrirons bientôt –  il serait pour le moins prudent d’attendre une nouvelle ordonnance ou a minima, une explication de texte.

1 – État d’urgence sanitaire (Covid-19) et baux d’habitation

Au regard de la crise sanitaire que nous traversons depuis le premier trimestre 2020, plusieurs dispositions ont été adoptées en vue de pallier aux conséquences économiques, sociales mais aussi juridiques de l’état d’urgence sanitaire déclaré par la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020.

S’agissant des baux d’habitation soumis à la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, on rappellera, tout d’abord, que les mesures adoptées en vue de permettre – sous certaines conditions – de suspendre le paiement des loyers commerciaux résultant d’un bail commercial, ne sont pas applicables aux baux d’habitation.

Les locataires doivent, par conséquent, poursuivre le paiement de leurs loyers d’habitation ; les dispositions prises dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire ne changent rien à ce sujet.

Toutefois, deux ordonnances ont été adoptées pendant cette période ; l’une permet de protéger les locataires et l’autre aménage des délais en faveur des deux parties.

Cette ordonnance concerne les locataires ayant fait l’objet d’une ordonnance ou d’un jugement constatant l’acquisition de la clause résolutoire contenue dans leur bail d’habitation et ordonnant leur expulsion.

Si l’article L. 412-6 du Code des procédures civiles d’exécution prévoit la suspension de toute mesure d’expulsion dans une période – dite trêve hivernale – comprise entre le 1er novembre et le 31 mars 2020, l’ordonnance n° 2020 -331 du 25 mars 2020 a prolongé cette période jusqu’au 31 mai 2020.

Dès lors, jusqu’au 31 mai 2020, aucun locataire ne pourra faire l’objet d’une mesure d’expulsion de son logement.

  • Ensuite, l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020  relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période, modifiée par l’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020, a édicté des mesures de suspension ou de prorogation des délais dont l’exécution est devenue impossible en raison de l’état d’urgence sanitaire.

Cette ordonnance a des conséquences sur les règles relatives à la délivrance du congé donné par le bailleur, mais également sur le commandement de payer visant la clause résolutoire.

  1. Sur la délivrance du congé donné par la Bailleur

La loi du 6 juillet 1989 prévoit que le bailleur qui souhaite reprendre son logement – pour le vendre, l’occuper ou pour motif légitime et sérieux (ex. le défaut de règlement des loyers) – doit délivrer un congé à son locataire au moins six mois avant le terme du contrat pour les logements vides et au moins trois mois avant le terme du contrat pour les logements meublés.

Faute de respecter ces délais, le congé est nul et le contrat de bail est reconduit tacitement pour une période de trois ans (pour les locations vides) et d’un an (pour les locations meublées).

Le non-respect de ces délais a donc des conséquences importantes tant pour le bailleur – qui sera sanctionné par une prolongation non souhaitée du bail d’habitation – mais aussi pour le locataire qui doit profiter de la période de préavis pour rechercher un nouveau logement et organiser son déménagement.

On précisera, ici, que le congé doit être notifié soit par lettre recommandée avec accusé de réception soit signifié par acte d’huissier de justice ou encore remis en main propre contre récépissé ou émargement (article 15 de la loi du 6 juillet 1989).

Or, nous savons que depuis l’état d’urgence sanitaire déclaré par la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020, les services postaux sont perturbés, les huissiers de justice ne délivrent plus d’actes (sauf extrême urgence) et la remise en main propre n’est pas envisageable en raison des mesures sanitaires et de distanciation sociale adoptées.

Pour pallier cet aléa rendant impossible la délivrance d’un congé dans les délais légaux et toute résiliation contractuelle en général, devant intervenir dans des délais précis, l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 a édicté une prorogation de ces délais.

Il s’agit de l’article 5 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 qui dispose :

« Lorsqu’une convention ne peut être résiliée que durant une période déterminée ou qu’elle est renouvelée en l’absence de dénonciation dans un délai déterminé, cette période ou ce délai sont prolongés s’ils expirent durant la période définie au I de l’article 1er, de deux mois après la fin de cette période » (nous soulignons).

La « période » à laquelle il est fait référence est celle située entre le 12 mars 2020 (Article 1. I. de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020) et théoriquement le 24 juin 2020 (soit le 24 mai 2020 – date fixée par article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 pouvant faire l’objet d’une modification – plus 1 mois).

Le texte prévoit, dès lors, un report de deux mois à compter du 24 juin 2020 pour délivrer le congé si l’expiration de ce délai doit intervenir entre le 12 mars et le 24 juin 2020.

Exemple : un bail d’habitation arrive à expiration le 22 septembre 2020. Le congé doit être délivré au moins 6 mois à l’avance soit, avant le 22 mars 2020. L’expiration de ce délai intervenant pendant la période décrite ci-dessus, le propriétaire pourra notifier son congé jusqu’au 24 août 2020 (soit 24 juin + 2 mois).

Le délai de préavis laissé au locataire (6 mois pour un logement vide ; 3 mois pour un logement meublé) restera inchangé puisque la date initiale de fin de contrat de bail sera également prorogé pour respecter ce délai protecteur du locataire.

     2. Sur le commandement de payer visant la clause résolutoire

Le bail d’habitation comprend en général un clause dite « résolutoire » prévoyant la résolution de plein droit du contrat en cas de manquement à une obligation contractuelle par l’une des parties. Il s’agit notamment du manquement du locataire à son obligation de payer son loyer.

L’acquisition de la clause résolutoire devra être constatée par le juge après un commandement de payer visant la clause résolutoire, délivré par huissier de justice, resté infructueux.

En temps normal, la clause résolutoire est réputée acquise au terme d’un délai de deux mois suivant la délivrance du commandement de payer.

Exemple : Un commandement de payer visant la clause résolutoire est délivré le 2 janvier 2020. Si l’arriéré de loyers n’est pas réglé par le locataire dans sa totalité avant le 2 mars 2020, la clause résolutoire est réputée acquise. Le Bailleur est alors fondé à assigner le Preneur devant le juge des contentieux de la protection aux fins de voir constater l’acquisition de la clause résolutoire.

L’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 révisée par l’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 a, là encore, aménagé les délais dans les termes suivants :

« Les astreintes, les clauses pénales, les clauses résolutoires ainsi que les clauses prévoyant une déchéance, lorsqu’elles ont pour objet de sanctionner l’inexécution d’une obligation dans un délai déterminé, sont réputées n’avoir pas pris cours ou produit effet, si ce délai a expiré pendant la période définie au I de l’article 1er.

Si le débiteur n’a pas exécuté son obligation, la date à laquelle ces astreintes prennent cours et ces clauses produisent leurs effets est reportée d’une durée, calculée après la fin de cette période, égale au temps écoulé entre, d’une part, le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive, la date à laquelle l’obligation est née et, d’autre part, la date à laquelle elle aurait dû être exécutée« .

La date à laquelle ces astreintes prennent cours et ces clauses prennent effet, lorsqu’elles ont pour objet de sanctionner l’inexécution d’une obligation, autre que de sommes d’argent, dans un délai déterminé expirant après la période définie au I de l’article 1er, est reportée d’une durée égale au temps écoulé entre, d’une part, le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive, la date à laquelle l’obligation est née et, d’autre part, la fin de cette période.

Le cours des astreintes et l’application des clauses pénales qui ont pris effet avant le 12 mars 2020 sont suspendus pendant la période définie au I de l’article 1er » (nous soulignons).

En substance, si l’expiration du délai de deux mois suivant la délivrance du commandement de payer intervient pendant la période juridiquement protégée – soit entre le 12 mars et le 24 juin 2020 – la clause résolutoire sera réputée ne pas avoir produit effet pendant cette période.

Si le débiteur n’a pas payé sa dette locative pendant cette période, la prise d’effet de la clause résolutoire est « reportée d’une durée, calculée après la fin de cette période [la période juridiquement protégée], égale au temps écoulé entre, d’une part, le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive, la date à laquelle l’obligation est née et, d’autre part, la date à laquelle elle aurait dû être exécutée ».

Exemple 1 : un commandement de payer délivré le 24 janvier 2020 devant produire ses effets, en cas d’inexécution, le 24 mars 2020 – soit 12 jours après le début de la période juridiquement protégée – produira in fine ses effets le 6 juillet 2020 (24 juin + 12 jours).

Exemple 2 : un commandement de payer délivré le 4 février 2020 devant produire ses effets, en cas d’inexécution, le 4 avril 2020 – soit 23 jours après le début de la période juridiquement protégée – produira in fine ses effets le 17 juillet 2020 (24 juin + 23 jours).

N.B. Le terme de l’état d’urgence sanitaire et tous les délais mentionnés dans cet article sont susceptibles d’évoluer.  Par ailleurs, l’interprétation des textes est ici produite sous réserve de l’interprétation des dispositions qui sera faite par les tribunaux.

 

 

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Non-lieu à statuer et frais irrépétibles : l’équité n’est pas de droit

À l’instar de l’article 700 du Code du procédure civile concernant les juridictions judiciaires, l’article 761-1 du Code de justice administrative permet au juge administratif de condamner la partie perdante à payer à l’autre partie les frais irrépétibles exposés dans le cadre de la procédure et non compris dans les dépens.

Il s’agit, notamment, des frais d’avocat engagés par une partie pour défendre ses droits.

Cette condamnation n’est pas automatique et lorsqu’elle est consentie, le juge en détermine la somme. Il tient compte, pour ce faire « de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée« .

A priori, la condamnation aux frais irrépétibles implique, a minima, que le juge administratif juge illégale la décision administrative attaquée.

Or, il arrive souvent que l’administration en cause – prenant conscience de son erreur ou souhaitant échapper à une condamnation inéluctable – régularise une nouvelle décision, en cours de procédure, donnant satisfaction au justiciable.

Dans ce cas de figure, l’administration sollicite un non-lieu à statuer – le recours contre la décision perdant son objet – et échappe à toute condamnation.

Qu’en est-il, dès lors, des frais irrépétibles engagés par le justiciable pour défendre ses droits dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir par exemple  ?

À cet égard, le Conseil d’État considère, depuis 2006, que le non-lieu à statuer ne fait pas obstacle au prononcé d’une condamnation au titre des frais irrépétibles  dans les termes suivants :

« Le fait que le requérant ait demandé le remboursement des frais exposés par lui et non compris dans les dépens postérieurement à la décision du ministre accordant le dégrèvement des impositions en litige et privant ainsi d’objet la requête ne fait pas obstacle à ce que le juge puisse décider d’accorder ce remboursement » (Conseil d’État, 25 octobre 2006, n° 273954).

Cette solution semble des plus appropriées au regard de l’équité, puisqu’en l’absence de décision illégale lui faisant grief, le justiciable n’aurait pas engagé de frais de procédure.

En droit, cette solution fait également sens dans la mesure où la régularisation, par la partie en cause, d’une nouvelle décision en cours de procédure vaut reconnaissance par cette dernière, de l’illégalité de la décision attaquée par le justiciable.

Ainsi, le droit et encore moins l’équité ne s’opposent à ce que le juge prononce le non-lieu à statuer tout en condamnant la partie en cause à payer les frais irrépétibles engagés par l’autre partie.

Ceci étant dit, un jugement récent du Tribunal d’instance de Melun nous rappelle que la condamnation de la partie perdante au paiement des frais irrépétibles relève de la libre appréciation du juge administratif ; appréciation discrétionnaire, du reste, puisque non motivée.

En l’espèce, un agent de la fonction publique hospitalière s’opposait, dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir assorti d’un référé suspension, à une décision d’affectation à un poste de surveillant de nuit, alors que ledit agent, âgée de 56 ans, élevant seule un enfant mineur et faisant l’objet de restrictions médicales au travail de nuit, ne pouvait, pour ces raisons, accepter ce poste.

Cinq mois après la notification de la décision attaquée et quelques semaines après l’échec de la tentative de règlement amiable du litige, les parties ont été invitées à plaider le référé-suspension.

Entre l’audience de plaidoiries et la clôture (reportée par ordonnance), l’Établissement en cause a notifié à l’agent une nouvelle affectation à un poste de jour, correspondant à son statut et son grade.

La nouvelle affectation apportant satisfaction à l’agent, ledit Établissement a sollicité le non-lieu à statuer. L’agent, de son côté, s’estimait heureuse de cette nouvelle affectation conforme, mais amère quant aux démarches qu’elle a dû effectuer et aux frais auxquels elle a dû s’exposer pour en arriver à cette affectation de droit.

Malgré les conclusions de son conseil, mentionnant la jurisprudence du Conseil d’État de 2006 sus-évoquée, le juge administratif a fait droit aux demandes de l’Établissement quant au non-lieu a statuer et écarté les demandes de l’agent quant à ses demandes de condamnation de l’Établissement au paiement des frais irrépétibles avec pour seule motivation « qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Établissement » les sommes demandées au titre de l’article 761-1 du Code de justice administrative.

On précisera qu’en l’espèce, ledit Établissement public ne s’était même pas défendu quant à la demande de condamnation aux frais irrépétibles.

Pouvoir discrétionnaire, libre appréciation du juge administratif… le justiciable doit avoir connaissance que l’équité ne guide pas, toujours, l’issue de son litige. C’est ce qui s’appelle, l’aléa judiciaire.

Photovoltaïque : la notion de « bâtiment unique » au cœur d’un nouveau contentieux de masse

PhotovoltaïqueArticle publié sur  Actu-environnement en collaboration avec Véronique Boulet-Gercourt, avocate au Barreau de Carcassonne. 

L’arrêté du 4 mars 2011 fixant les nouvelles conditions d’achat d’électricité produite par les installations photovoltaïques est à l’origine d’un contentieux résolument intarissable.

Après l’introduction massive de procédures indemnitaires de la part des producteurs d’électricité lésés à l’encontre du gestionnaire de réseau devant le juge consulaire, c’est devant le juge administratif que ces derniers se tournent, aujourd’hui, pour contester le tarif d’achat imposé par les acheteurs d’énergie, à l’aune d’une interprétation très ambiguë de la notion de bâtiment.

La notion de « bâtiment unique » ou de « même bâtiment » est devenu un élément incontournable pour calculer le tarif d’achat applicable à un projet d’installation photovoltaïque, lequel est plus ou moins élevé en fonction de la puissance de l’installation.

Pour calculer cette puissance, l’arrêté du 4 mars 2011 (annexe 1) prévoit d’additionner la puissance de crête de « l’ensemble des installations raccordées ou en projet sur le même bâtiment ou la même parcelle cadastrale », étant entendu que le tarif d’achat est plus intéressant lorsque la puissance de l’installation est faible.

Aussi, c’est aux fins « d’éviter la segmentation artificielle des installations en vue de bénéficier d’un tarif d’achat prévu pour des installations de plus petite taille » qu’une définition sui generis de la notion de bâtiment a émergé.

En effet, plus de quatre ans après la publication de l’arrêté du 4 mars 2011 – qui ne propose aucune définition de la notion de bâtiment unique – la Direction Générale de l’Énergie et du Climat a adressé un courrier en date du 8 janvier 2015 au Syndicat des Énergies Renouvelables aux fins de préciser ladite notion.

Il résulte, notamment, de ce courrier qu’un bâtiment « est une construction d’un seul tenant, éventuellement composé de plusieurs corps de bâtiments. Un corps de bâtiment désigne un volume construit homogène, distinct et d’un seul tenant dissociable des autres corps de bâtiment sans dommage dans la structure générale de l’édifice. Ainsi, le caractère dissociable d’une partie d’un édifice ne peut être utilisé pour la définition des contours d’un bâtiment. De même, des considérations d’adresse, d’accès, de date de construction, de fonctionnalité ou de propriétaire ne sont pas pertinentes. En général, les bâtiments accolés et/ou mitoyens sont considérés comme un bâtiment unique ».

Forts de ce courrier pourtant dépourvu de la moindre valeur réglementaire, les acheteurs d’énergie ont interprété de manière restrictive la notion de « bâtiment unique » et remis en cause le tarif d’achat escompté par les producteurs et ce, malgré l’antériorité de leur demande de raccordement.

Parmi ces producteurs, certains ont reçu une première proposition de contrat indiquant un tarif d’achat correspondant à deux ou trois bâtiments différents, et donc favorable, puis, dans une deuxième étape, ont reçu des nouvelles propositions de contrats contenant une modification tarifaire revue à la baisse, correspondant à une définition du bâtiment qui avait, entre temps, évolué.

L’implantation de ces centrales avait pourtant été largement encouragée par le gestionnaire de réseaux,  puisqu’il avait édité à l’attention des producteurs des documents de travail, schémas d’implantation à l’appui, indiquant très clairement qu’aucune puissance Q ne devait être déclarée dès lors que les centrales étaient situées sur des parcelles cadastrales distinctes et des bâtiments qui, bien qu’accolés, disposaient d’entrées indépendantes.

Les producteurs étaient donc fondés à penser que la jurisprudence – si ce n’est la loi – viendrait entériner une pratique constante ; de très nombreuses centrales ayant vu le jour un peu partout en France suivant ce type d’implantation, avec l’octroi d’un tarif d’achat prenant effectivement en compte une puissance Q nulle.

De manière pour le moins surprenante, ce n’est pas cette conception qui a été retenue par le Tribunal administratif de Paris amené à se prononcer, par un jugement du 23 juin 2016, sur la notion de « même bâtiment » (TA Paris, 23 juin 2016, n° 1513079, n° 1513081, SAS Belette Sun : jurisdata n° 2016-18776. Voir, également, l’intéressant commentaire du Rapporteur public, Jimmy Robbe, dans la revue Energie-Environnement-Infrastructures 2016, n° 10, commentaire 69).

Compétent pour trancher les litiges portant sur des contrats de nature administrative et la légalité des actes détachables de tels contrats, le Tribunal administratif, en l’espèce, de Paris, a été saisi par une société désireuse de bénéficier de l’obligation d’achat de l’électricité produite par trois installations photovoltaïques construites sur des bâtiments qu’elle jugeait distincts.

Confortant, dans un premier temps, cette analyse, un acheteur d’énergie faisait parvenir à ladite société, en août et en septembre 2014, une proposition de contrat d’achat de 32,659 centimes d’euro par kWh. En novembre et en décembre 2014, estimant que le tarif d’achat n’était pas conforme à la réglementation en vigueur, l’acheteur d’énergie faisait parvenir à la société requérante de nouvelles propositions de contrat mentionnant un tarif d’achat de 16,731 centimes d’euro par kWh.

Refusant de signer ces nouvelles propositions, la société adressait, le 13 mai 2015, une réclamation à l’acheteur d’énergie.

C’est le rejet de cette réclamation qui a motivé le recours en annulation introduit par la société devant le Tribunal administratif de Paris.

La société demanderesse soutenait que compte tenu des caractéristiques de ses installations photovoltaïques, d’une puissance de 9 kWh et situées sur deux parcelles distinctes et des bâtiments distincts, elle devait bénéficier d’un tarif d’achat d’électricité de 32,659 centimes d’euro par kWh et non celui de 16,731 centimes d’euro par kWh.

Amené à se prononcer sur la notion de « même bâtiment », le Tribunal administratif a jugé que le tarif de 16,731 centimes d’euro par kWh était applicable, dans les termes suivants :

« il ressort des constatations des huissiers requis à la fois par la requérante et la défenderesse que les installations de la SAS Belette Sun sont situées, certes sur deux ouvrages construits à des époques différentes, à savoir un garage adossé à une grange, mais qui dès lors qu’ils sont juxtaposés et qu’ils partagent même un pan de mur commun ainsi que le fait valoir sans être contredite EDF et que cela ressort des constats précités, sont indissociables et doivent être regardés pour l’application de l’arrêté du 4 mars 2011 comme formant un unique bâtiment ; ».

Ainsi, le Tribunal administratif de Paris conforte l’analyse de la DGCE en reconnaissant l’unicité du bâtiment dès lors que les installations sont juxtaposées et partagent un même pan de mur et ce, peu importe que les « ouvrages » aient été construits à des époques différentes.

Ce faisant, Tribunal n’épuise, nullement, la problématique soulevée par la notion de « bâtiment unique » et laisse entières les questions suivantes : quid de l’hypothèse de propriétés et/ou d’adresses distinctes (doit-on considérer que toutes les maisons mitoyennes situées dans une rue constituent désormais un bâtiment unique ce qui, de facto, les ferait relever du régime de la copropriété ?), du caractère disjoint des murs, d’un « ouvrage » clos tandis que l’autre est ouvert ? Que faut-il, du reste, entendre par « ouvrage » ?

Une telle définition de ce qui serait un « même bâtiment », semble critiquable au regard des solutions précédemment dégagées en jurisprudence, notamment au regard de celle consacrée par le Conseil d’Etat en matière d’urbanisme, qui juge que dans le cas de bâtiments accolés, il convient de tenir compte de l’indépendance matérielle effective de chacun d’entre eux vis-à-vis des autres.

Il importe, en effet peu, en ce cas que ces bâtiments adjacents soient séparés par un mur mitoyen dès lors qu’ils ne sont pas reliés entre eux par une communication directe (Conseil d’Etat, « Boisdeffre » 7 mai 2003, 3ème et 8ème sous-sections réunies, n° 251596, inédit au Recueil Lebon).

Enfin, la consécration par le Tribunal administratif de Paris d’une définition du bâtiment unique entérinant la position de la DGEC semble porteur d’une réelle insécurité juridique au regard de la pratique antérieure sus-évoquée.

Ce premier jugement, dans l’attente d’une législation claire qui semblerait pour l’avenir bienvenue en la matière, marque une première étape, non définitive, dans un contentieux qui, de toute évidence, se révèlera abondant et évolutif.

 

 

 

 

 

 

 

Les arrêtés municipaux anti-tracts et anti-mendicité portent atteinte à certaines libertés fondamentales

Tribunal admininistratif… sauf lorsqu’ils sont nécessaires et proportionnés aux exigences de l’ordre public.

La question de la légalité des arrêtés pris par les maires pour limiter la distribution de tracts sur les marchés et, par la même occasion, pour interdire la mendicité au sein de l’agora, ne se pose pas pendant les élections nationales que nous connaissons actuellement.

Cette pratique s’est, en revanche, développée ces dernières années dans certaines communes pour, disons-le, limiter l’expression de l’opposition politique locale et repousser, toujours plus loin, cette pauvreté qu’on ne saurait voir.

Le Conseil d’État, par une ordonnance en date du 7 avril 2012, (n° 358495) avait légitimé cette pratique saisi en référé d’une affaire où le maire de Saint-Cyr-L’École avait interdit, aux jours et heures du marché, à l’intérieur du marché couvert et dans sa proximité immédiate, la distribution et le colportage accidentel d’écrits de toute nature, de journaux, de brochures, de tracts ainsi que la mise en circulation de pétitions.

Le Conseil d’État avait, alors, considéré :

« que compte tenu, d’une part de la stricte limitation dans le temps et les lieux qui est ainsi celle de cette mesure, d’autre part, des nécessités de la commodité de la circulation du public à l’intérieur de la halle et des espaces du périmètre adjacent effectivement occupés par des commerçants, l’arrêté litigieux ne peut, même au regard des exigences particulières qu’impose la période électorale, être regardé comme portant aux libertés d’expression et de communication des idées et des opinions une atteinte grave et manifestement illégale ».

Susceptible de porter atteinte à certaines libertés fondamentales comme la liberté d’expression, la liberté de réunion et au principe du caractère pluraliste de l’expression des courants de pensée et d’opinion, la publication de l’arrêté litigieux, ne portait, toutefois, pas une atteinte grave et manifestement illégale à ces libertés, dans la mesure où l’interdiction était :

–  limitée dans le temps et dans l’espace ;

– justifiée par la défense d’intérêts publics comme, en l’espèce, la commodité de la circulation du public.

Cette ordonnance  du Conseil d’État a ouvert la voie à une série d’arrêtés municipaux prescrivant des interdictions de la même espèce.

Ce fut, notamment, le cas dans la commune des Ulis, où le Maire a décidé – dans un contexte de forte tension politique locale – par un arrêté du 18 mars 2016, d’interdire :

  • la distribution de tracts et pétition sur le périmètre du marché, pendant les séances du marché ;
  • toute manifestation à caractère politique, confessionnelle ou syndicale dans le périmètre du marché ;
  • tout rassemblement et stationnement de personnes pouvant gêner ou entraver la libre circulation ;
  • la mendicité sous toutes ses formes dans le périmètre et aux abords du marchés durant les séances de marché.

L’interdiction prescrite était, ici, générale et absolue. Le périmètre et les horaires du marché n’étaient pas définis et l’interdiction de se rassembler ne rencontrait aucune limite de temps et d’espace.

L’arrêté litigieux ouvrait donc la voie à une censure du Tribunal administratif de Versailles, saisi en référé.

Sur la condition d’urgence justifiant sa saisine en référé-liberté, le Tribunal administratif de Versailles a, tout d’abord, jugé que :

« l’arrêté pris par le maire des Ulis a vocation à interdire la diffusion de tous imprimés et pétitions de quelque nature que ce soit, toute manifestation à caractère politique, confessionnelle ou syndicale, tout rassemblement de personnes pouvant gêne la circulation, ainsi que la mendicité sous toutes ses formes dans le périmètre du marché forain pendant les séances de marché ; que l’édiction d’une telle mesure crée une situation d’urgence au sens de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative ».

Le Tribunal administratif de Versailles n’a, toutefois, pas considéré que l’arrêté pris par le Maire des Ulis pouvait être regardé comme portant une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales sus-évoquées sous réserve que :

 » une telle interdiction ne saurait s’étendre, à peine de porter une atteinte grave et manifestement illégale à ces mêmes libertés, aux abords du marché non réservés au commerçants et à leur clientèle, en sorte qu’il doit être loisible à toute personne de procéder, notamment, à des distribution de documents les jours de marché à proximité immédiate du périmètre occupé par les commerçants et leurs étals, en ce compris la bande de recul permettant l’accès des véhicules sur les emplacements du marché hors des heures de déchargement et rechargement fixées par le règlement intérieur « .

Ce n’est, toutefois, que par une manoeuvre – pour le moins habile – que l’arrêté litigieux n’a pas fait l’objet d’une censure. La veille de l’audience, le Maire des Ulis a abrogé l’arrêté objet de la saisine du Tribunal et remplacé ce dernier par un arrêté prescrivant les mêmes interdictions, mais, cette fois-ci, en limitant leur périmètre.

Le Tribunal administratif de Versailles, dans son ordonnance du 12 avril 2016 (n° 1602522), fut dès lors contraint de tenir compte de ce nouvel arrêté – et de la jurisprudence du Conseil d’État – et décidé, sous la réserve évoquée, qu’il ne portait pas une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales.

À l’aune de la jurisprudence du Conseil d’État, le juge administratif procède, ainsi, à un arbitrage entre les libertés fondamentales atteintes et la défense des intérêts publics qu’est censée justifier l’interdiction litigieuse, laquelle doit être limitée dans le temps et dans l’espace.

Ce contentieux, qui est une application classique du principe de proportionnalité, rappelle que les citoyens et militants doivent rester vigilants face aux productions normatives de leur municipalité, lesquels peuvent se révéler, à bien des égards, liberticides.

La prescription dans le contentieux consécutif au moratoire photovoltaïque : attention au délai de recours !

PhotovoltaïqueLes producteurs d’électricité photovoltaïque lésés par le moratoire et le traitement tardif de leur demande de raccordement au réseau n’auront, bientôt, plus de recours devant le juge de commerce.

Publié sur Actu-environnement

L’entrée en vigueur du décret du 9 décembre 2010 instituant un moratoire de trois mois sur l’obligation d’achat d’électricité produite par les installations photovoltaïques, suivi de l’arrêté du 4 mars 2011 fixant les nouvelles conditions d’achat de cette électricité a généré un contentieux  de masse devant le juge consulaire et, dans une moindre mesure, devant le juge administratif.

De nombreux producteurs d’électricité photovoltaïque, particuliers ou sociétés ayant un projet de production – perdant le bénéfice du tarif d’achat d’électricité qu’ils pensaient avoir acquis avant le moratoire – ont, en effet, engagé une procédure devant les tribunaux de commerce aux fins de se voir indemniser leur préjudice sur le fondement de la faute commise par le gestionnaire de réseau constituée par le traitement tardif de leur demande de raccordement.

D’autres producteurs ont attaqué directement la légalité de décret du 9 décembre 2010 en demandant son annulation devant le juge administratif.

Après avoir jugé légale la suspension de l’obligation d’achat (CE, 16 novembre 2011, société Ciel et Terre), le Conseil d’État a, récemment, retenu que la suspension de l’obligation d’achat d’électricité solaire photovoltaïque n’était pas constitutive d’une responsabilité de l’État (CE 25 septembre 2015, société Planet Bloo).

Les procédures judiciaires engagées par les producteurs d’électricité à l’encontre du gestionnaire de réseau ont, en revanche, donné de meilleurs résultats.

En effet, par un arrêt du 9 juin 2015, la Cour de cassation a, non seulement, confirmé que le non respect du délai de transmission de l’offre de raccordement par ERDF était constitutif d’une faute, mais également, validé l’évaluation faite, par les juges du fond, du quantum du préjudice. Pour mémoire, la Cour d’appel de Versailles a jugé, le 11 février 2014, que le préjudice était indemnisable à hauteur de 80 % des sommes demandées au titre de la « perte de l’espérance légitime » de bénéficier d’un tarif d’achat plus avantageux.

Les tribunaux de commerce saisis d’un recours indemnitaire par les producteurs d’électricité photovoltaïque sont, ainsi, désormais en mesure de se prononcer sur la solution des litiges et plus précisément sur la juste indemnisation de chaque producteur lésé.

L’action indemnitaire sera, en revanche, bientôt irrecevable à l’égard des producteurs, des particuliers ou, encore, des sociétés agricoles s’estimant lésés mais n’ayant pas, à ce jour, introduit d’action en justice.

Les termes de l’article 2224 du Code civil sont, à cet égard, très clairs : « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».

Dit autrement, le justiciable dispose d’un délai de cinq ans à compter de la révélation du dommage pour agir en justice.

Quel est, alors, dans le cadre de ce litige, le point de départ de la prescription et plus précisément quel est « le jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer » ? La publication du décret moratoire du 9 décembre 2010 (l’action serait, dès lors, d’ores et déjà prescrite) ? Le courrier d’ERDF informant les producteurs, particuliers ou sociétés qu’ils devaient déposer une nouvelle demande de raccordement ? L’arrêté du 4 mars 2011 fixant les nouveaux tarifs d’achat d’électricité d’origine solaire ?

Il convient ici de souligner, qu’en matière de prescription, le juge saisi apprécie souverainement le moment auquel il estime que la victime d’une faute a eu connaissance des faits lui permettant d’engager une action ou « aurait dû connaître » ces faits.

Cette question a, d’ailleurs, suscité un important contentieux dont il apparaît difficile de tirer un principe général[1].

La détermination du point de départ de la prescription relève donc, in fine, de l’appréciation souveraine des juges. Dès lors, il ne serait pas surprenant que cette question, appliquée au contentieux moratoire photovoltaïque fasse, à elle seule, l’objet de débats devant le juge consulaire.

Néanmoins, il est d’ores et déjà possible d’anticiper l’issue de ces débats et d’arguer en faveur d’un point de départ de la prescription au détriment d’un autre. Il s’agit, tout d’abord, de définir ce qui constitue, en l’espèce, le dommage subi par les producteurs, personnes et sociétés projetant de le devenir, pour ensuite déterminer le moment où ils ont eu ou auraient dû avoir connaissance des faits leur portant préjudice.

Au regard du contentieux en cours devant les tribunaux de commerce, il est évident que le dommage est constitué par la baisse du tarif d’achat d’électricité créant, pour certains, un différentiel de gains très substantiel entre le tarif d’achat promis et le tarif appliqué voire remettant totalement en cause, pour d’autres, la viabilité économique de leur projet.

Le décret du 9 décembre 2010 pouvait-il permettre aux producteurs ou futurs producteurs d’électricité d’anticiper le préjudice qui allait en découler ?

Le décret moratoire prévoit, en substance, que l’obligation d’achat d’électricité photovoltaïque est suspendue pendant une période de trois mois et qu’à l’issue de cette période, une nouvelle demande de raccordement devra être déposée.

La seule lecture du décret permettait, donc, aux producteurs ou futurs producteurs d’électricité de comprendre que la demande de raccordement qu’ils avaient déposée avant le moratoire était caduque, s’ils n’avaient pas accepté la proposition technique et financière de raccordement avant le 2 décembre 2010.

Toutefois, à considérer que ces derniers pouvaient en déduire (ce qui n’était pas évident) que le tarif d’achat qui leur avait été promis au moment de leur première demande allait nécessairement baisser, avaient-il réellement, à cette époque, un fondement pour introduire une action en justice ?

C’est loin d’être certain dans la mesure où la démonstration de l’existence d’un préjudice réparable implique d’apporter, notamment, la preuve d’un dommage direct, certain et actuel. Ce qui n’était pas le cas.

Seul l’arrêté du 4 mars 2011 fixant les nouvelles conditions d’achat de l’électricité d’origine solaire et partant, les nouveaux tarifs d’achat de cette électricité – revus nettement à la baisse – a permis d’établir l’ampleur du préjudice tout en lui donnant un caractère certain et actuel.

La publication, le 5 mars 2011, de cet arrêté semble, ainsi, marquer le point de départ de la prescription de l’action en justice des producteurs, particuliers et sociétés lésés. Autrement dit, ceux qui n’ont pas encore introduit de recours devant le juge consulaire ont jusqu’au 5 mars 2016 pour le faire, après quoi, leur action sera jugée irrecevable car prescrite.

 

[1] Rapport annuel de la Cour de Cassation, Le temps, La Documentation française, 2014.

 

La Charte de l’environnement mise à mal

UnknownL’adoption de la Charte de l’environnement constitue indiscutablement une avancée majeure pour le droit de l’environnement. Reconnue dès 2008 par les hautes juridictions françaises et intégrée au bloc de constitutionnalité, la Charte fait pourtant depuis quelques semaines l’objet de plusieurs formes d’atteintes.

  • Le Conseil constitutionnel d’abord, qui par une décision n° 2014-394 QPC du 7 mai 2014, a procédé à l’exclusion de l’ensemble des alinéas introductifs de la Charte, des dispositions invocables dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité.

Il s’agit des alinéas précédant les dix articles de la Charte, sans que la qualification de préambule ne leur soit attribuée :

«  Considérant :

Que les ressources et les équilibres naturels ont conditionné l’émergence de l’humanité ;

Que l’avenir et l’existence même de l’humanité sont indissociables de son milieu naturel ; 

Que l’environnement est le patrimoine commun des êtres humains ;

Que l’homme exerce une influence croissante sur les conditions de la vie et sur sa propre évolution ;

Que la diversité biologique, l’épanouissement de la personne et le progrès des sociétés humaines sont affectés par certains modes de consommation ou de production et par l’exploitation excessive des ressources naturelles ;

Que la préservation de l’environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation ;

Qu’afin d’assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins ; »

Conformément à sa décision n°2008-564 DC du 19 juin 2008 relative à la loi sur les OGM, le Conseil constitutionnel continue de reconnaître, y compris dans sa décision du 7 mai 2014, que l’ensemble des droits et devoirs définis dans la Charte de l’environnement ont valeur constitutionnelle.

Toutefois, aucun des sept alinéas n’ « institue un droit ou une liberté que la Constitution garantit ». Par conséquent, ces alinéas introductifs « ne peuvent être invoqués à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité ».

Bien que la valeur constitutionnelle de l’ensemble de la Charte soit préservée, le Conseil constitutionnel opère ici une distinction entre l’invocabilité des articles et l’impossibilité de soumettre les alinéas qui les précèdent dans le cadre d’une QPC.

Cette dissociation peut s’expliquer par la nature du contentieux qui avait permis sa saisine et pourrait avoir pour finalité, comme le souligne le Professeur Champeil-Desplats[1], de réguler un contentieux qui s’avèrerait abondant si ces alinéas introductifs étaient systématiquement invoqués notamment dans le cadre des troubles anormaux de voisinage, comme ce fut cas en l’espèce.

  • Le Sénat ensuite, qui a voté le 27 mai dernier, une proposition de loi constitutionnelle du sénateur Jean Bizet modifiant la rédaction des principes de précaution, de participation et d’éducation à l’environnement, dans la Charte de l’environnement.

Dans le contexte du vote de la loi interdisant les maïs génétiquement modifiés et sa validation récente par le Conseil constitutionnel, le sénateur connu pour son engagement en faveur de la culture de ces organismes, avait déposé une proposition de loi constitutionnelle visant à modifier la Charte de l’environnement.

Cette modification avait initialement pour objet de faire coexister le principe de précaution avec le principe d’innovation afin d’encourager la recherche et le progrès technologique. Il en est sorti une « petite loi » qui revisite le principe de participation et d’éducation à l’environnement et complexifie le principe de précaution, dont les termes consacrés par l’article 5 de la Charte de l’environnement, souffrent déjà d’une mauvaise compréhension tant du public que des institutions.

A cet égard, le Conseil constitutionnel avait soigneusement évité de consacrer un développement à ce principe, qui aurait pourtant été souhaitable, lorsqu’il a jugé constitutionnelle la loi d’interdiction des maïs génétiquement modifiés, par sa décision n° 2014-694 DC du 28 mai 2014.

[1] Véronique Champeil-Desplats, « Charte de l’environnement : La QPC bute sur l’incipit », La Revue des droits de l’homme [En ligne], Actualités Droits-Libertés, mis en ligne le 19 mai 2014, consulté le 04 juin 2014. URL : http://revdh.revues.org/747